❝ Don't worry about a thing ‘cause every little thing is gonna be alright. ❞

Quand mon réveil se mit à sonner ce matin, je compris rapidement qu’une fois encore la journée allait être difficile. Non pas que je m’étais levée du pied gauche, au contraire. Simplement de nombreux signes m’avaient prouvé qu’aujourd’hui n’était pas mon jour, rien de plus. Un jouet sur lequel j’ai marché, le petit doigt qui se cogne contre le pied du lit, la douche qui refuse de me donner de l’eau chaude… Bref toutes ces choses du quotidien qui font en sorte de vous mettre de mauvaise humeur. J’avalais un café rapidement et constatais que tout ceci m’avait mise en retard pour le travail. Mais à vrai dire, je m’en fichais pas mal puisque j’étais LA chef et que donc je faisais ce que je voulais, nul ne pourrait me remonter les bretelles. Je sautais dans ma voiture et pris la direction de Chino, située à une vingtaine de kilomètres de chez moi. En arrivant, tout été déjà ouvert et je craignais le pire en sachant qui était de service ce matin : Zelda, alias la fille la plus maladroite que je connaisse. Je me demandais souvent ce qui m’avait pris d’engager une telle empotée. J’ouvris la porte et fus étonnée de constater que le café était presque désert. Etrange, habituellement à cette heure-ci, le café est beaucoup plus remplit que ça. Peut-être que le beau temps qui s’annonçait aujourd’hui y était pour quelque chose je ne sais pas. Mon regard se posa ensuite sur la jeune blonde qui me servait de serveuse et là encore je ne fus pas déçue de constater qu’elle était vaguement dans la lune. Si bien qu’elle n’avait même pas remarqué que j’étais entrée dans les lieux. Ni une, ni deux, je fonçais d’un pas déterminé vers la jeune femme, bien déterminée à la réveiller un peu et de lui faire partager les joies de ma journée pourrie. Après tout, il n’y avait pas de raisons pour que je sois la seule à être de mauvaise humeur n’est-ce pas. Je posais mon sac à main sur le comptoir du bar, faisant ainsi sursauter la jeune femme. « Tu n’es pas payée pour rêvasser je crois ! » Lançais-je de mon air aimable habituel, consciente qu’une fois encore j’aurai peut-être pu y aller plus doucement pour la réprimander. « Un café crème, maintenant ! » Demandais-je, histoire de la faire bouger un peu tout en allant dans l’arrière-boutique enfiler un tablier. Je commençais à comprendre pourquoi il y’avait si peu de monde ce matin…

Mon café était de loin la chose la plus importante à mes yeux. Encore plus que ma propre famille très certainement. Tout simplement parce que Rhett m’a toujours encouragé à aller au bout de mes rêves et qu’ouvert un tel endroit était l’un de mes plus grand. Mais désormais, dès que je mettais un pied à l’intérieur, le moindre détail me faisait penser à lui. Ce cadre situé au dessus du comptoir, cette odeur de bougie si douce mais si agaçante. Il fallait réellement que je donne un second souffle à cet endroit mais je n’en avais pas le courage. Car tout recommencer serait comme-ci j’effaçais les meilleurs instants de ma vie. Et ça, je ne pouvais l’accepter. Cette journée qui s’annonçait des plus mauvaises allait peut être me faire oublier le passé le temps de quelques heures, et j’espérais pouvoir me défouler sur cette chère blondinette que j’avais engagé et dont le prénom m’échappait parfois. Ou du moins, je faisais semblant d’oublier son nom pour lui faire croire qu’elle n’avait aucune importance pour moi. Zelda, cette douce et adorable Zelda était aimé de tous les clients malgré ses deux véritables mains gauches qui cassaient la moitié de ma vaisselle. Elle avait cette petite étincelle dans le regard qui me rappelait ma jeunesse, bien qu’en soit je ne sois pas énormément plus vieille qu’elle. Après l’avoir salué à ma manière et enfilé mon tablier, je regagnais le comptoir prête à boire un délicieux café crème. Nulle ne fut pas ma déception en voyant cette pauvre fille perdue devant la machine à café, à injurier la boisson qui devait probablement lui brûler les doigts. Je fronçais un sourcil, détestant que quelqu’un utile ce genre de langage dans mon café mais décidais de rester calme. Pour le moment. Je me contentais alors d’un léger gloussement, histoire de lui montrer que j’étais là et que j’attendais avec une patience qui n’était pas ma vertu préférée. La jeune femme posa la tasse avec élan sur le comptoir, éclaboussant ainsi le magnifique chemisier tout neuf qui je venais de m’offrir. Mon dieu, j’eu à cet instant envie de lui balancer cette fameuse tasse sur elle afin de lui rendre l’appareil mais les premiers clients firent leur apparition. « Pauvre idiote ! Ce chemisier était tout neuf ! » Me contentais-je de répondre à voix basse, de manière à ce qu’elle soit la seule à entendre. Sauver par ces fameux clients, Zelda tournait alors les talons me laissant face à ma pauvre tasse de café qui ne ressemblait en rien à ce que j’avais demandé. Exaspérée, je jetais la boisson dans l’évier afin de m’en préparer une autre, beaucoup plus à mon goût et certainement bien mieux préparée. Tandis que j’entamais ma première gorgée, la jeune blonde revint tout sourire et annonça la commande. « Tu ne pensais tout de même pas que j’allais le préparer j’espère ? » Demandais-je, un sourire narquois aux lèvres. Zelda allait probablement se brûler à nouveau ou je ne sais quoi, mais je n’en avais rien à faire. Je saluais d’un sourire les clients qui me regardaient avec attention, en attendant leur commande qui arriva quelques secondes après. Etrangement, la jeune serveuse n’avait ni renversé les tasses, ni même ébouillanté quelqu’un. Il y avait là du progrès ! C’est alors qu’elle revint afin de discuter sympathiquement avec moi, comme ci j’étais sa meilleure copine. « J’ai une tâche immonde sur mon chemisier, penses-tu réellement que tout va bien ce matin ? » Demandais-je, toujours avec ce même sourire narquois et cet air hautin qui me qualifiait tant aux yeux de la jeune Zelda. « J’aurai grand besoin d’un bon verre, mais il est certainement un peu tôt ! » Ajoutais-je, en reprenant une gorgée de mon café. Mon regard était posé sur celui de la jeune femme, curieuse d’entendre ce qu’elle aurait à répondre.

Nullement honteuse d'avoir éclaboussé le chemisier de sa patronne, elle serra les dents devant les railleries acides de Juliet. Son corsage ne pouvait se trouver que mieux en arborant des tâches de café si minuscules qu'il faudrait probablement un microscope pour les trouver. Souvent, elle ne pouvait s'empêcher de se demander où elle trouvait tout son stoïcisme face aux sarcasmes qu'elle essuyait chaque jour. Le ton hautain qu'empruntait Juliet, le mépris qu'elle semblait éprouver à son encontre ne pouvaient que lui rappeler durement qu'elle n'avait désormais plus son mot à dire sur aucun élément qui composait sa vie. Autrefois, nul n'aurait osé élevé la voix devant elle, trop muet par ce pouvoir charismatique qui émanait d'elle. Ah elle lui servait bien aujourd'hui sa beauté ! Qu'importait de ressembler à Miss Univers ou le dernier des thons ? Elle représentait toujours l'une des plus mauvaises serveuses qui puisse exister à la solde d'une patronne tyrannique. Comment les choses avaient-elles pu changer à ce point ? Comment avait-elle pu devenir si différente de cet être superficiel et insouciant qui la caractérisait tant ? Elle était aujourd'hui rongée par l'inquiétude, le spleen d'une vie passée et révolue dont il ne restait plus rien hormis les stigmates éternels de sa vénusté qui marquaient à jamais son visage. Mais quel pouvait-être l'intérêt d'avoir été dotée d'un tel physique si elle devait à présent courber l'échine pour servir de la bouillie noire connue aussi sous le nom de café ? Elle ne pouvait ignorer le fait que son manque d'argent et son compte bancaire désespérément vide auraient pu l'amener à faire des choses autrement plus stupides que d'emmener des cappuccinos. Des occupations qu'on ne pouvait éradiquer totalement de sa mémoire et qui, lorsqu'elle se regarderait dans son miroir, ne pourraient l'empêcher de penser que sa dignité avait été bafouée pour quelques poignées de dollars. Non. Il lui restait toujours un semblant de fierté mal placée, des reliquats d'une vanité quasi disparue. Dès lors, elle ne pouvait s'ajouter un surplus de tourments en prêtant une oreille d'autres jérémiades que celles qu'elle se contait déjà dans son esprit agité. Pourtant, elle se devait de continuer à travailler sur l'opinion que Juliet pouvait avoir sur elle et c'est pourquoi, pensive elle aborda la suite sans jeter le tablier à travers la pièce comme elle mourrait pourtant d'envie de faire. "Un tour au lavage et vous verrez il sera comme neuf" Il lui était toujours étrange de vouvoyer Juliet alors qu'elle ne paraissait pas beaucoup plus âgée qu'elle. Cependant, celle-ci n'avait jamais manifesté la moindre envie de rectifier la situation et c'est pourquoi elle s'efforçait de lui parler avec respect, d'autant plus aujourd'hui alors qu'elle avait une requête à lui faire. "Même si les tâches ne sont pas si visibles" Très bien, elle n'avait pu s'empêcher de murmurer cette phrase si doucement qu'il était quasi impossible que Juliet ait eu vent de ces quelques mots soufflés hormis si elle avait emprunté, en plus de sa vision acérée, d'une oreille de chauve-souris. "Un verre ?" reprit-elle doucement. A sa connaissance, jamais la blonde n'avait éprouvé le besoin de s'épancher auprès d'elle et peut-être était-ce le jour où elle lui en raconterait plus sur elle. Elle se mordit la lèvre inférieure dans un signe d'appréhension quant à l’enchaînement des évènements. Elle n'était pas connue pour apposer un filtre au travers de ses lèvres et prononcer certaines phrases sans en contrôler leur portée et ces quelques mots franchirent cette barrière avec nul espoir de pouvoir les récupérer. "Est-ce que c'est au sujet de Ryan ?" Après tout, elle n'avait aucun besoin d'éprouver de remords, chose qu'elle arrivait encore à rendre inaccessible. Juliet et son nouvel ami ne manifestaient aucun effort pour dissimuler leur attirance lorsqu'il venait au café et puisque Juliet semblait si encline de se confier sur sa vie...

Zelda n’avait rien de méchant, mieux encore elle aurait déjà pu prendre ses clics et ses claques et claquer la porte de mon café en vue de mon comportement. Mais la jeune femme avait besoin d’argent, et c’est peut être ça qui l’a retenait d’ailleurs je ne voyais aucune autre raison. Quand à moi, j’ignorais pourquoi j’étais si méchante avec elle, peut être était-ce son doux visage angélique qui avait le don de m’agacer, sa chevelure blonde si parfaite ou encore sa maladresse indéfinissable. Quoi qu’il en soit, Zelda était une serveuse fidèle et avait la force de me supporte – chose que peu de gens arrivaient à faire cela va de soit. Lorsqu’elle éclaboussa mon nouveau chemisier, je ne lui en voulais pas tant que ça dans le fond mais ce fut un prétexte pour passer mes nerfs, comme à chaque fois. La tâche en soit ne se voyait pas vraiment, j’eu même du mal à la retrouver mais elle était tout de même là et c’était là l’essentiel. Je posais mon regard noir sur Zelda, qui semblait garder son calme malgré tout. L’appât du gain peut nous pousser à faire tellement de choses parfois, et au fond de moi je me retrouvais en elle. Lorsque j’étais plus jeune, ma vie était plus difficile et je n’avais pas la chance d’avoir un petit boulot pour m’en sortir. Consciente qu’aujourd’hui les choses peuvent très vite déraper, c’est peut être pour cela que je garde ce bout de femme aux mains gauches dans mon café : pour lui éviter de tomber entre de mauvaises mains. Une chose bien sûr dont elle n’en saura jamais rien. « Je pourrais te demander de me le nettoyer à tes propres frais si j’étais vraiment une garce ! » Commençais-je par dire, en faisant référence à ses maigres revenus. Ce chemisier coûtait une petite fortune, que la jeune femme n’avait pas. Le nettoyer serait un peu plus abordable mais lui reviendrait tout de même cher. « Bon, laissons tomber cette histoire de chemisier. Mais fais-moi le plaisir d’être plus attentive dorénavant ! » Lançais-je, d’un air tyrannique qui m’allait si bien. Je passais dans l’arrière boutique afin de retirer ce chemisier car forte heureusement j’avais un débardeur en dessous. Ce qui ferait l’affaire pour le reste de la matinée. Pour la première fois depuis mon arrivée, j’avais été indulgente avec la jeune femme, sachant qu’un tyran ne peut montrer les crocs toutes les 30 secondes au risque de se retrouver seul au monde. Lorsque je revins dans la pièce, la blondinette me proposa un verre – ce qui m’étonna fortement je ne vous le cache pas. Pourquoi était-elle si gentille tout à coup ? Zelda avait probablement une idée derrière la tête, et je ne pouvais pas résister à son air de chien battu quand elle me proposait quelque chose. « Je viens de boire un café, tu sais celui que je t’ai demandé mais qui a terminé sur mon chemisier ! » Rétorquais-je d’un air arrogeant. Peut être que si je lui avais simplement dit que je n’avais plus soif, cela aurait suffit. Mais cela aurait été beaucoup trop gentil et simple à mon goût. Je me mis au niveau de l’évier afin justement de nettoyer la tasse dans laquelle j’avais bu lorsque la jeune femme me posa une question très déplacée au sujet de Ryan. Pourquoi cette pimbêche me parlait-elle de lui subitement ? Je la regardais alors d’un air interrogateur… « Pourquoi diable me parle-tu de cet homme ? » Demandais-je, avec l’envie folle de la remettre à sa place. Ma relation avec ce garçon n’était pas ses affaires, mais cette question en avait attiré une autre dans mon esprit : cette petite avait-elle une quelconque relation avec lui ? Je l’ignorais encore mais une chose était certaine : j’allais prendre un malin plaisir à la lui poser et surtout dans le cas où la réponse serait positive, sa jalousie sera mise à rude épreuve !