Si Ansley avait décidé de se rendre au réunions de soutien de son plein gré, cela ne signifiait pas qu'elle était contente d'y être ou qu'elle se livrait facilement. La seule raison qui la poussait à faire ça était qu'elle savait parfaitement qu'elle avait besoin d'aide. Cela faisait plusieurs mois qu'elle n'avait pas touché à une goutte d'alcool ou de drogue, mais cela ne voulait pas dire qu'elle était guérie pour autant. Contrairement à la plupart des gens dans son cas qui vivait dans le déni et qui se croyait plus fort que la nature, elle était parfaitement consciente que la moindre tentation la ferait replongée dans l'enfer qu'elle avait vécu durant de nombreuses années. Elle ne regardait pas en arrière en se disant qu'elle avait fait des conneries et qu'elle était mieux maintenant, non. Elle avait adoré ces années passées à boire, à se droguer et à oublier le monde extérieur. Elle traînait avec deux ou trois gars assez vieux pour être son père mais assez jeunes pour atterrir dans son lit à tour de rôle, et elle ne s'était jamais sentie aussi libre qu'à cette période-là. Aujourd'hui, elle n'était pas heureuse. Elle avait conscience de tout ce qu'il se passait, de la réalité de la vie. Ses parents lui avaient coupé les vivres (et les ponts par la même occasion, car elle leur faisait trop honte), et elle se retrouvait pour la première fois en manque d'argent. N'ayant aucun diplôme et des antécédents douteux, aucun employeur ne voulait d'elle. Elle ne savait rien faire et n'avait aucune motivation pour apprendre. Sans compte grassement fourni dans lequel pioché ni de salaire tombant régulièrement, Ansley se voyait dans l'obligation de vivre dans un taudis dans le quartier de Doakes. Si ses parents pouvaient voir dans quoi elle habitait, ils riraient sûrement. Mais ils ne reprendraient sûrement pas chez eux. C'était eux qui l'avaient expédiée à l'autre bout du pays, pour qu'elle ne fasse plus parler d'elle à la Une des tabloïds et ternisse l'image qu'ils avaient construit. S'ils avaient divorcé alors qu'elle n'était qu'une enfant, ils étaient aussi irrécupérables l'un que l'autre. Comme d'habitude, Ansley pensait à tout ça silencieusement pendant que les autres prenaient la parole et parlaient de leur histoire. Elle était incapable de se confier comme ils le faisaient, et pourtant, qu'elle le veuille ou non, se rendre à ces réunions lui permettaient de tenir, d'avoir un peu d'espoir. Assis lâchement sur sa chaise, elle daignait à peine applaudir à chaque fois que quelqu'un se levait (elle avait toujours trouvé ce principe ridicule) et était beaucoup plus concentrée sur l'étude de ses ongles longs qu'à l'écoute de leurs propos, toujours semblables les uns aux autres. Quand enfin la réunion prit fin, elle laissa échapper un léger soupir de soulagement mais ne se pressa pas pour s'en aller. Différents petits groupes de deux ou trois personnes se formaient petit à petit pour discuter entre eux, et elle restait seule sur sa chaise à rassembler ses affaires. Alors qu'elle releva le regard de son écran de téléphone portable, elle vit Archer avancer vers elle et elle leva les yeux au ciel, sachant pertinemment ce qui allait venir. Elle tenta de se lever mais c'était trop tard, elle était prise au piège. Croisant les bras sur sa poitrine, Ansley le regarda de façon insistante pour lui faire comprendre qu'il devait parler maintenant ou se taire à jamais.

Ansley n'avait jamais été très sociable. Réservée, elle se tenait en retrait la plupart du temps et préférait observer les autres plutôt que d'aller vers eux. Elle n'aimait pas particulièrement être au centre de l'attention et elle n'avait pas beaucoup d'efforts à faire pour que les gens ne s'intéressent pas à elle. Personne ne l'avait jamais réellement compris. Fille d'un acteur célèbre, tout le monde enviait sa vie. L'argent et la gloire, certains tueraient pour avoir cette vie. Mais elle n'avait apprécié être sous le feux des projecteurs. L'opinion publique l'avait toujours détestée pour ne pas jouer le jeu, et encore plus lorsqu'elle a déraillé et a commencé à consommer de la drogue et à abuser de l'alcool. Personne ne comprenait pourquoi elle faisait ça, pourquoi elle jouait à la petite fille malheureuse. Elle passait pour une fille capricieuse, mais elle ne s'était jamais souciée de ce que les gens pouvaient penser d'elle. Elle vivait sa vie comme elle l'entendait et tant pis si certaines personnes n'approuvaient pas, ses parents en premier. Ca lui faisait mal d'avoir été envoyée à l'autre bout du pays et ne pas être aimée de ses parents. Il n'y avait rien de pire comme sensation. Mais d'un autre côté, elle les détestait pour l'avoir punie de cette façon alors que ses frasques n'avaient été qu'un appel à l'aide. Ansley aurait pu tout dévoiler à ce groupe de soutien. Se lever et parler de son histoire. C'était la première fois qu'elle avait l'occasion de rectifier le tir, d'exprimer son point de vue et de faire taire les rumeurs les plus folles qui couraient à son sujet. Pourtant, elle ne voulait pas le faire. Elle n'avait jamais été à l'aise dans le fait de se plaindre, et elle n'allait pas commencer devant un groupe d'inconnu. De plus, parler de son histoire à haute voix ne ferait qu'ancrer ce qu'elle avait vécu dans la réalité. Elle ne vivait pas dans le déni et assumait tous les mauvais choix qu'elle avait fait, mais elle appréciait ces quelques secondes par jour où elle oubliait son passé et se disait qu'elle pouvait refaire sa vie loin de ses parents, loin de ses anciennes habitudes. Puis elle passait devant un bar et elle se rappelait alors à quel point elle était encore fragile et qu'elle avait besoin d'aide pour s'en sortir, qu'elle le veuille ou non. Mais elle recevoir cette aide dans ses conditions. Ansley venait aux réunions, elle écoutait les histoires des autres puis repartait chez elle. Elle n'avait pas prévu que certaines personnes se montreraient insistantes pour qu'elle se dévoile, comme ce certain Archer. « Est-ce que j'ai le choix? » demanda-t-elle d'un ton très sarcastique alors qu'elle croisa les bras sur sa poitrine, le regardant d'un air de défi. Elle le détestait pour insister de la sorte, et elle le détestait encore plus pour être aussi attirant. Comment pouvait-on être aussi bien et chiant à la fois? Elle leva les yeux au ciel à sa question, et devinant qu'il n'était pas prêt de la relâcher et qu'elle ne pourrait pas lui échapper à moins de coopérer un minimum, elle s'appuya au mur à côté d'elle, son regard balayant la salle du regard. Tout le monde parlait entre eux, buvait du jus d'orange et mangeait des gâteaux. Et elle, elle était coincée avec Archer. Non pas qu'elle aurait été se mêler aux autres si ça n'avait pas été le cas. « Appelez ça de la curiosité morbide, » répliqua-t-elle en haussant les épaules, lui adressant un sourire des plus hypocrites. Ansley était loin d'être prête à confier son histoire à cet homme, il en faudrait plus pour qu'elle se sente en confiance. Et encore, serait-elle même prête à en parler un jour à quelqu'un, qui qu'il soit? « Et tout le principe d'un groupe de soutien n'est-il pas d'être libre de parler ou non selon son envie? J'ai vraiment l'impression que vous voulez me forcer à le faire, et je ne trouve pas ça très correct. » Evidemment qu'elle se moquait de lui. S'il devait la retenir contre son gré, autant qu'elle le fasse tourner en bourrique. « D'ailleurs, pourquoi vous faites ça? Ca vous amuse de voir le malheur des autres? Ca vous fait vous sentir mieux dans votre peau? » Ce n'était certainement pas d'elle qu'il allait trouver ce qu'il venait chercher en faisant ce genre de bénévolat. Elle pencha la tête sur le côté en lui souriant innocemment avant de reporter une nouvelle fois son regard sur la salle, évitant de laisser Archer la regarder trop dans les yeux. Peu importe la façon dont elle pouvait se comporter, son regard la trahissait beaucoup trop et il n'était pas difficile de lire en elle comme dans un livre ouvert.

Ansley ignorait pourquoi cet homme essayait autant de la faire parler. Pourtant, ce n'était pas les gens qui manquaient, il suffisait de regarder aux alentours pour s'en apercevoir, la salle était remplie. Il aurait pu s'intéresser à quelqu'un d'autre, quelqu'un qui voulait se faire aider, qui n'avait aucun problème pour parler de sa vie à des inconnus. Elle ne voulait rien de tout ça et aurait préféré qu'on la laisser tranquille. Pourtant, à mesure qu'Archer insistait, elle se demandait si elle devait être énervée ou flattée d'une telle intention. Elle n'arrêtait pas de le repousser et il aurait pu abandonner dès le premier rejet, préférant ne pas perdre son temps avec quelqu'un qui ne l'aimait clairement pas. Mais non, il tenait bon et continuait d'être là pour elle, d'une certaine façon. Elle ne comprendrait pas pourquoi mais d'un côté, elle aimait ça. Elle se sentait soutenue, elle savait désormais qu'elle pouvait se tourner vers quelqu'un si le besoin de parler se montrait présent. Ce n'était pas le cas, mais qui savait ce que le futur réservait? « Très bien, je ne dirais rien alors, » répondit-elle banalement en haussant les épaules, ne pouvant réprimer un sourire alors qu'elle baissait la tête. Elle n'avait tué personne, bien sûr, mais l'idée qu'il l'en pense capable la faisait doucement rigoler et elle préférait largement jouer avec lui plutôt que de donner des réponses simples et sans aucune originalité. C'était surtout une façon pour elle d'éviter de parler d'elle et se concentrer sur autre chose que sur sa vie désastreuse. Si Archer voulait savoir ce qui lui était arrivé, il allait devoir insister encore un peu plus. Elle n'avait jamais voulu parler d'elle, ce n'était pas en cinq minutes qu'elle allait changer d'avis. Face à la réaction violente du jeune homme, Ansley se mordit la lèvre inférieure, hésitante. Peut-être y était-elle allé un peu trop fort. Elle n'avait rien contre lui, après tout, et la méchanceté gratuite n'avait jamais été un jeu pour elle. Elle avait un bon fond malgré son sombre passé qui pouvait laisser croire le contraire, et elle ne souhaitait pas le blesser alors qu'il ne lui avait techniquement rien fait. Elle resta silencieuse un moment, pesant le pour et le contre. Elle n'allait pas continuer sur sa lancée et risquer de l'énerver lui aussi. Elle n'allait pas non plus s'excuser car elle n'en avait pas l'habitude. « Si vous le savez alors vous comprenez pourquoi je ne le fais pas, » reprit-elle avec la même attitude, sa voix pourtant plus douce que précédemment. Elle n'était pas méchante et n'allait pas continuer à jouer ce rôle juste par fierté. « Je n'aime pas parler de moi. Que ce soit dans la vie de tous les jours ou dans des groupes de soutien. » Ansley rétablit un silence entre eux, soudainement concentrée par ses mains. Elle n'allait pas commencer à se dévoiler maintenant, pas de cette façon, mais elle n'avait plus envie de le repousser. Désormais, elle devait juste fournir un minimum d'explications pour qu'il ne la prenne pas pour une folle furieuse. Bien que pour être honnête, elle n'en avait que faire de ce que pouvait penser les autres d'elle. « Peut-être qu'il existe des gens biens dont le seul but dans la vie est d'aider les autres. Et peut-être que vous en faites partie. Mais je n'ai jamais connu une seule personne prête à m'aider par simple bonté. Pas même mes parents, alors excusez-moi si j'ai un peu de mal à croire à tout ça. » Ansley soupira et finit de ranger toutes ses affaires, prête à mettre un terme à cette conversation. « Je ne commencerais pas à parler maintenant. Pas ici, pas comme ça. » Elle se leva et se dirigea vers la porte de sortie. Elle finit pourtant par se retourner vers Archer, un sourire malicieux sur les lèvres. Il était aussi séduisant qu'énervant, et quand Ansley se mettait en tête de séduire un homme, elle n'y allait pas par quatre chemins. Plongeant ses prunelles dans son regard malgré la distance qui les séparait désormais, elle haussa les épaules. « Alors, vous allez m'inviter à boire un café ou pas? »