« That was one of the saddest things about people--their most important thoughts and feelings often went unspoken and barely understood. »

La voiture est garée, elle vient de couper le moteur, et pourtant elle ne bouge pas d'un centimètre. Lentement, elle détache la ceinture qui la retient d'en faire autant, mais là encore, elle reste immobile. Comme un petit rituel, chaque fois qu'elle se rend au centre, il lui faut quelques minutes pour se décider à sortir de la voiture et pousser les portes qui la conduiront là où elle a longtemps hésité à aller. Refusé, si l'on veut être exacte. Après avoir jeté un rapide coup d’œil au reflet de son visage dans le rétroviseur, elle quitte enfin l'automobile. Saisissant son téléphone portable, elle rédie un court message visant à avertir Anthony que pour une fois, il se pourrait bien qu'il rentre avant elle. La salle Morris se remplit peu à peu de ses habitués, les gens se saluent, puis vont s'installer sur les chaises qui sont mises à leur disposition, café en main. Olivia observe ce petit monde les mains jointes, prêt de la table où se trouvent les boissons. Elle donnerait de l'extérieur, presque l'impression de ne pas se sentir concernée, d'être une étrangère. Elle n'a prise la parole qu'une seule fois depuis les quelques semaines où elle se rend une à deux fois par semaine à cet endroit, et c'était pour se présenter.  « My name is Olivia, and my baby died while I was giving birth to him. » Si la plupart des personnes présentes dans ce groupe ont perdu un proche récemment, cela n'a pas empêché que des regards se soient alors tournés vers elle. Loin des regards de jugement ou de pitié qu'elle craignait, ceux-là étaient compatissants. Mais malgré cela, elle n'a pas encore réussi à passer le stade d'observation, s'exprimer sur son histoire, sur ce qu'elle ressent devant tout le monde, elle n'y est pas encore. Elle ne vient cependant par pour rien, loin de là, savoir qu'elle n'est pas seule, et écouter les récits des autres, aussi tristes soient-ils l'aide beaucoup. Elle ne saurait expliquer le pourquoi du comment, c'est juste un fait. Elle s'éloigne du buffet, et s'assoit à son tour, adressant de faibles sourires aux personnes l'entourant, elle n'est toujours pas complètement à l'aise. Paul, trente-six ans prend la parole en premier, il fait parti de ceux qui ont l'irrépressible besoin de le faire, il n'attend d'ailleurs pas qu'on la lui donne pour le faire. Les remords le rongent, clairement. Il était sorti faire une course avec sa fille, enfant qu'il a oublié dans la voiture, vitres relevées, alors qu'il faisait une chaleur étouffante, pendant plus de deux heures. Enfant qui est décédé, par sa faute. Olivia se rappelle avoir serré les dents, ne supportant pas l'injustice de la situation. Ne comprenant pas comment on pouvait juste, « oublier » son propre enfant pendant si longtemps, alors que d'autres n'ont rien demandé et se retrouvent frappés par la tragédie. Puis elle s'est rappelée qu'ici, on ne juge pas. Plus facile à dire qu'à faire, mais elle s'est finalement résolue à laisser sa rancœur de côté, et se dire qu'il a aussi et après tout, perdu sa petite fille. Après qu'il ait raconté comment sa semaine s'est passé, ce qu'il a réussit ou pas à faire, c'est au tour d'Aimee de prendre la parole. Son fils a disparu du jour au lendemain, enlevé alors qu'il jouait au milieu d'autres enfants dans un petit parc de Chino. Elle explique comment elle trouve la force de se lever tous les matins, comment ses deux autres enfants l'ont empêché de totalement sombrer. La séance n'est pas terminée, mais la jeune femme se lèvre brusquement, et quitte la pièce, la sensation qu'elle est en train de manquer d'air la fait légèrement paniquer. Elle presse le pas jusqu'à la sortie, et trouve refuge près des gradins, alors qu'elle retrouve une respiration régulière.

Réunion du groupe de soutien, une autre. On pourrait croire que depuis le temps qu’elle y participe, activement ou bénévolement, Jolene se serait habituée à tout cela, mais ce n’était pas le cas. Elle avait toujours cette étrange et quelque peu oppressante boule au ventre à la perspective d’entendre ses gens parler de la tragique perte de leur enfant. Toutes les histoires, les vécus, les ressentis, les pentes à gravir, tous étaient différents les uns des autres. Personne ne vivait la perte, ne traversait le deuil de la même manière. Certains avaient un irrépressible besoin de s’exprimer, de raconter, de se confesser. D'autres, au contraire, trouvaient leur réconfort dans les paroles des autres, dans leur témoignage. Cela faisait longtemps que JJ ne venait plus pour elle-même à ces réunions, qu’elle était devenue bénévole, désireuse d’aider autant qu’on l’avait aidée elle auparavant. Elle avait nombre de fois fait le récit de sa tragédie personnage, la perte de son bébé alors qu’elle était encore enceinte dans ce stupide accident de voiture qui avait tout détruit. Les premières fois, ça avait été un véritablement crève-cœur pour elle, comme si elle revivait le tout une seconde fois. Mais à force, avec le temps, cette sensation avait fini par s’apaiser. Oh, ne vous trompez pas, c’était toujours douloureux et Jolene savait que ça le serait toujours, néanmoins, les choses étaient différentes désormais, la majorité du temps. Discutant brièvement avec Beth dont le bébé était décédé de la mort subite du nourrisson quelques mois plus tôt, l’interprète ne se rendit compte de la présence d’Olivia qu’une fois tout le monde installé. Elle était contente que la jeune femme soit venue, elle connaissait sa réticence à participer aux sessions, à livrer son histoire. D'ailleurs, elle n’avait pris la parole qu’une seule et unique fois, lors de sa première venue. Depuis, elle se contentait d’écouter les autres, il semblait que parler était encore trop difficile pour elle. Ça finirait par venir, éventuellement, chaque ayant son propre rythme. La séance débute finalement, avec Paul, comme souvent. Il avait ce besoin lui de parler, non seulement pour évacuer sa culpabilité, mais également rappeler que malgré tout, lui aussi avait perdu son enfant, comme tout le monde ici. Certains histoires étaient plus difficiles à entendre que d’autres, mais le but de cet espace de parole était justement de pouvoir le faire sans juger, aussi compliqué que ça puisse être parfois. Attentive aux réactions de chacun alors que la séance se poursuivait, Jolene vit soudain Olivia se levait brusquement et partir de la même façon précipitée. La réaction fut immédiate, alors que tout le monde était surpris, la bénévole prononça quelques vagues paroles avant de se hâter de gagner la sortie à son tour. Ce genre de réaction arrivait de temps en temps, des moments où on ne pouvait plus encaisser les histoires et les parcours. Elle repéra rapidement Olivia près des gradins et la rejoignit sans plus tarder. Olivia ? prononça-t-elle en posant délicatement sa main sur le bras de la jeune femme. Elle ne lui demanda pas si elle allait bien, ce serait tout bonnement stupide, la réponse était évidente. Elle n’allait pas non plus la forcer à parler, si la jeune femme désirait le faire, elle le ferait d’elle-même, toute seule. Précipiter les choses n’aidait jamais, il fallait du temps et de la patience, de la douceur aussi pouvait aider. Do you want me to leave you alone ? demanda doucement Jolene, elle ne voulait pas non plus s’imposer. Si Olivia désirait rester seule, c’était son droit et JJ respecterait son choix.

Spoiler:

Il y a des jours avec et des jours sans comme on dit. Des jours où l'on a l'impression que la vie reprend enfin son cours, d'autres où l'on se demande comment est-ce que l'on va faire pour tenir. Il lui arrive souvent de passer d'un extrême à l'autre, bien que les moments où elle se sent au plus bas se font plus rares. Il s'agira à présent de moments d'absences répétées au cours d'une conversation, ou encore d'une brutale envie de s'isoler. C'est normal, lui dit-on, on comprend, lui dit-on. Alors qu'elle s'assoit, elle se demande si le fait de prendre la parole plus souvent lors des réunions pourra l'aider à gérer ce genre de... Crises. Elle n'aime pas particulièrement qualifier ce qu'il lui arrive, cela lui donne l'impression d'être malade, et donc faible. C'est l'une des raisons qui a fait qu'il lui a fallu tant de temps avant d'enfin, se décider à pousser les portes du Centre. Parce qu'en reconnaissant qu'elle n'allait pas aussi bien qu'elle aimait le clamer, elle admettait par la même occasion, avoir perdu son fils, pour de vrai, pour de bon, et pour toujours. Elle se prend le visage dans les mains, alors que ses cheveux viennent les recouvrir, et soupire longuement, l'épisode de stress intense est passé. Fausse victoire, étant donné que désormais, elle n'est pas sûre de se sentir capable de retourner dans la salle, sans que sa gêne ne soit visible. Sans qu'elle ne soit de nouveau exposée à cette sensation d'être en retard par rapport à certains, qui semblent gérer le deuil de manière plutôt « correcte ». « Olivia ? » La concernée libère instantanément son visage, et plisse les yeux alors que ces derniers se réhabituent à la lumière du jour. La jeune femme reconnaît la voix de Jolene, jolie jeune femme, l'une des rares probablement, avec qui elle a réussi à sympathiser depuis qu'elle se rend au Centre. De nature plutôt joviale et assez sociable, ces traits de caractère sont un peu moins prononcés depuis désormais presque un an. Ils le sont d'autant moins à cet endroit, où l'on la prendrait presque pour quelqu'un de plutôt réservé. « Do you want me to leave you alone ? » Quelques temps plus tôt, elle se serait lentement dégagé de l'emprise du bras de la jeune femme, mais elle n'en fait rien. Au lieu de cela, elle tourne la tête vers elle, et tente un sourire en coin et secoue négativement la tête en réponse à sa question. « I could actually use a little bit of company right now. » Sans doute que si quelqu'un d'autre avait été à la place de Jolene, Olivia l'aurait gentiment envoyé balader. Mais elle, a ce quelque chose qui fait qu'elle sait qu'elle peut lui parler. De tout et de rien d'ailleurs, puisqu'elles n'ont encore jamais réellement abordé la raison qui les a toutes les deux poussé à intégrer le programme. Elle tapote sur le banc à ses côtés, invitant la belle à la rejoindre, et pose son regard sur le terrain qui se trouve devant elle. « Sorry about.. That. I guess it got a bit too intense for me. » Reposant de nouveau son regard sur la brunette, elle poursuit. « It's so strange. One minute you're feeling okay, and the next one you're.. Suffocating. How do you deal with that ? I mean, hearing about all those stories. »

Bien souvent au début on vous dit que les choses vont finir par passer, que la douleur va s’estomper et que les souvenirs vont doucement s’effacer. C’est faux, pour Jolene du moins. Rien ne disparait, jamais, on ne fait en réalité que s’habituer à la présence de… tout ça. On s’habitue à ce vide de ce qu’on a pourtant jamais connu, on s’habitue à la vie quotidienne qui reprend ses droits, on s’habitude à l’absence qui ce qui était et n’est désormais plus. On s’habitue à ce que les choses ne soient plus jamais les mêmes. C’était un triste constat, très triste même, c’est sans doute pour cela que JJ ne le partageait pas, avec personne. Ni ses proches qui souhaitaient tant qu’elle aille définitivement mieux, ni avec ces gens dans la peine qui souhaitaient tant aller simplement mieux un jour. Un mensonge par omission n’est pas une réelle tromperie n’est-ce pas ? Et bien toutes les situations sont différentes… Jolene elle-même se dit parfois que tout cela finira par totalement faire partie de son passé, qu’elle sera finalement capable un jour de tout laisser partir et enfin avancer. Oui, parfois, quand elle ne laisse pas la mélancolie la gagner. On ne peut pas indéfiniment vivre dans le deuil, si ? Elle chasse d’un revers de main mental toutes ces pensées, ce n’est pas le moment pour y songer. Là, elle doit se concentrer sur Olivia qui lui fait face et faire abstraction du fait que leurs situations sont sans doute un peu trop similaires, qu’en la regardant elle pourrait presque voir son propre reflet, un peu déformé, d’il y a quelques années. I could actually use a little bit of company right now. Les similitudes étaient nombreuses en effet, mais les différences également. Elles n’avaient encore jamais entamé le sujet qui les rapprochait, mais sans doute qu’elles auraient mutuellement étaient de ces personnes capables de les comprendre au mieux, bien mieux que les autres en tout cas, si ça avait été le cas. Pourtant, même sans cela – ou peut-être justement grâce à ça –, Jolene se sentait à l’aise en compagnie d’Olivia. Avec elle, bien qu’elles ne se connaissaient pas réellement dans le fond, elle savait qu’elle n’aurait jamais à prétendre, à forcer son caractère habituel ; il n’y aurait personne pour la juger, décortiquer chacun de ses gestes, chacune de ses paroles, personne pour qui il fallait faire semblant d’être forte et indestructible. La bénévole s’assit à l’invite muette de la brunette, sans prononcer un mot. Elle ne voulait pas la pousser à quoi que ce soit, si la jeune femme se sentait de prendre la parole, de se livrer un peu alors JJ serait une oreille attentive. Si ce n’était pas le cas, alors elle ne demanderait rien, elle avait appris par son expérience malheureuse à ne jamais demander aux autres plus qu’ils n’étaient à même d’offrir. Sorry about... That. I guess it got a bit too intense for me. Ce sentiment… elle l’avait connu à de multiples reprises, elle le connaissait encore parfois maintenant. Il arrivait que trop de choses remontaient à la surface et ce n’était tout simplement plus possible de lutter, de ravaler, on se retrouvait alors totalement submergé, comme pris à la gorge, aucune échappatoire possible. L’angoisse, la panique, le repliement, les pleurs, le mutisme, la colère, la détresse, la tristesse les réactions étaient alors aussi diverses que les gens y étant confrontés. It’s so strange. One minute you’re feeling okay, and the next one you’re… suffocating. How do you deal with that ? I mean, hearing about all those stories. C’était une bonne question, a really good one actually. Il n’y avait pas de solution miracle malheureusement, pas de truc à connaître et qui faisait toute la différence. Non, la réalité était bien moins glorieuse. C’était d’ailleurs un constat que JJ ne faisait que rarement car il était à double tranchant, comme toute médaille, il avait son revers… Elle se tût quelques instants, le regard dans le vague, pour réfléchir à la meilleure façon de dire ça. Well, that’s kind of a sad statement but I guess I’m just… used to hearing them. Finalement, elle reporta son regard sur Olivia. Don’t take me wrong, I’m not insensitive to those stories, they still remind me my own loss everytime, but I’ve became… stronger over time. Oui, c’était ça. Elle avait réussi à quelque peu s’endurcir, à se forger une carapace, un bouclier pour éviter d’être hantée, d’être dévorée par tous ces récits poignant. Sans ça, elle n’aurait jamais été capable de tenir aussi longtemps. Mais c’était loin d’être évident, ou imparable. It’s not always working, I still have moments when I can’t take it anymore, and sometimes the pain is just too much. But that’s okay, right ? Nobody’s perfect, nobody’s invincible. I guess we have to accept our weaknesses to try to go over them, and sometimes it can be the hardest part. Ça avait été son cas, c’était toujours son cas. Le chemin vers la guérison, même partielle, était semé d’embûches et d’obstacles de tous genres, et ceux-ci n’étaient pas forcément ceux auxquels on pouvait s’attendre. Et puis, il fallait du temps, beaucoup de temps. I’m sorry I get a bit carried away. Jolene offre un pauvre sourire d’excuse à Olivia avant de poursuivre. Anyway, it’s going to sound like a total cliche but time, time is usually the key. Pour la majorité des gens en tout cas.