EVERYTHING CAN CHANGE IN A HEARTBEAT - Treize jours. Treize jours qu'elle était à l'hôpital. Cela peut paraître pas bien long, mais pour une enfant de dix ans qui ne sait pas ce qui lui arrive, ça l'est. Cependant, Isobel venait d'avoir la permission de sortir. Sa famille, et elle, avaient simplement un rendez-vous avec un spécialiste et les Eaton pourraient enfin rentrer tranquillement. Malgré son jeune âge, elle savait que ce n'était pas bon signe et en eut confirmation dès les premières minutes de l'entretien. Le médecin était formel ; Isobel était atteinte d'un déficit immunitaire commun variable. Sa mère s'était instantanément mise à pleurer et son père avait resserré son étreinte afin de la calmer. Quant à elle, Is', pensa simplement que tout peut changer en un battement de coeur, de cil, qu'importe, l'essentiel étant que sa vie n'allait plus être la même. Rien qu'en entendant la signification de sa "maladie", elle le savait. Dawson lui serra la main, mais c'était comme si elle n'avait rien senti. Elle était comme anesthésiée. Et tout ce qui l'entourait n'existait plus ou était entouré d'un épais brouillard. Ses pensées résonnaient dans sa tête comme des tambours. Seules quelques bribes de la conversation lui arrivaient aux oreilles, mais elle n'y réagissait pas. Elle n'y arrivait pas. Is était impassible. ❝ Votre fille devra donc venir à l’hôpital toutes les trois semaines afin qu'on la mette sous perfusion. Elle aura aussi ... ❞. Son frère augmenta sa pression autour de la main de la fillette comme pour lui dire "je suis là, ne t'en fais pas". Mais elle s'en faisait. Isobel était obsédée par l'idée de retourner à l’hôpital, ou plutôt effrayée. Tout ce qu'elle voulait c'était s'enfermer dans sa chambre pour le reste de sa vie, confinée, loin de tout virus. C'était certes impossible et elle savait pertinemment qu'elle ne pourrait pas vivre ainsi. Seulement dans sa chambre. Elle était simplement sous le choc. Et quel choc ! Tout ça à cause d'une pneumonie pensa-t-elle en se mordillant l'intérieur de la joue. Elle sentit le goût particulier du sang affluer dans sa bouche et desserra les dents avant d'inspirer profondément. Isobel remarqua le regard inquiet de son frère posé sur elle alors, la petite fille leva les yeux dans sa direction en lui adressant un petit sourire histoire de le rassurer. Elle sentait qu'il en avait besoin, certainement plus qu'il ne devait le montrer, quoiqu'elle n'en savait rien. Elle en avait besoin elle aussi, mais pour le moment Belle essayait d'assimiler la chose -bombe plutôt- en silence. Elle n'avait pas envie de pleurer, à ça non. Cela n'allait servir à rien, du haut de ses dix ans, Isobel le savait pertinemment. Il fallait avouer qu'elle était déjà très intelligente et comprenait les choses de la vie avec une facilité déconcertante. Toujours en train d'observer plutôt que de participer. C'était pratiquement son crédo. ❝ Is, tu viens. On rentre ... ❞ lui lança son frère, posant tendrement sa deuxième main sur le bras de sa soeur. La petite fille hocha simplement la tête avant de suivre ses pas. Sa main toujours emprisonnée dans la sienne. Cette semaine-là, elle n'avait pas été à l'école et juste avant la suivante, ses parents lui annoncèrent qu'elle n'y irait plus. Préférant à la place des cours à domicile, bien que le médecin avait conseillé de la laisser vivre une "enfance normale". Ils croyaient bien faire et sur le moment c'était le cas.        

IT'S NOT FAIR, MOM - ❝ Maman, je sors ! ❞ Isobel s'apprêtait à ouvrir la porte quand sa mère se précipita devant elle. Lui bloquant ainsi l'accès. La jeune fille de quinze ans n'avait absolument pas vu sa mère venir, elle pensait pouvoir lui échapper cette fois. Raté. ❝ Où penses-tu aller comme ça, jeune fille ? ❞ Sa mère avait les bras croisés et le visage fermé. C'était perdu d'avance, Izzy le savait. Mais elle "jouait" toujours ses batailles. ❝ Chercher des livres et un tapis pour le yoga. Le mien est mort. ❞ Elle savait que sa mère détestait ce mot, "mort", elle l'avait fait un peu exprès. Ce n'était pas pour être méchante ou désagréable, c'était simplement pour se distraire. Chose qu'elle ne pouvait que rarement faire dans cette maison. À cause de son foutu déficit. ❝ Je ne vois pas le problème. Dawson peut y aller pour toi ! ❞ ❝ Ce n'est pas juste, maman. Il ne devrait pas avoir à faire tout ça ! ❞ Is avait le regard quelque peu triste, elle n'en pouvait plus, elle avait l'impression de tourner en rond comme un lion en cage. Elle ne sortait que peu et généralement cela lui convenait, mais là il fallait qu'elle sorte. ❝ Chérie, lança la femme en coinçant quelques mèches des longs cheveux de sa fille derrière ses oreilles,je suis désolée, mais non ...  ❞ Isobel avait franchement envie de pleurer, mais elle retenait ses larmes tant bien que mal. ❝ Mais, je vais mieux que jamais ! ❞ En effet, elle n'avait pas toussé, ni rien depuis presque deux mois. Un record ! ❝ Là n'est pas la question, Is. Ton frère peut le faire pour toi. Et il va le faire. Fin de la discussion. ❞ Elle avait terminé sa phrase avec fermeté, une fermeté que l'adolescente ne connaissait pas. Belle était triste, en colère et excédée. Elle ne savait quoi répliquer alors elle se contenta d'un ❝ Ugh ! ❞ avant de tourner les talons et de retourner dans sa chambre. Quelques larmes perlèrent sur ses joues, c'était frustrant pour elle. Pourtant, quand Dawson toqua à sa porte une bonne quinzaine de minutes plus tard pour avoir sa liste, elle ne broncha pas. Ce n'était pas de sa faute à lui après tout. Après un rapide baiser sur le front, son frère se mit en route. La laissant seule avec sa constante solitude.



IT'S LIKE ...IT WASN'T REAL - BIP. Isobel se précipita derrière son ordinateur. C'était lui. Et elle avait un sourire béat sur le visage, à la limite du niais. Il venait de se connecter et la jeune fille de seize ans attendait impatiemment qu'il engage la conversation. ❝ Salut ! Comment tu vas depuis tout ce temps ? ❞ Is commença à taper frénétiquement comme elle en avait l'habitude quand Peter, c'était son nom, était de l'autre côté de l'écran. ❝ Parfois, j'veux crier à m'en vider les poumons ... ❞ Avec lui, elle n'hésitait pas à dire ce qu'elle ressentait. Et, par écran interposé, ça ne faisait pas réel. C'est comme si ça ne l'était pas. Peter était sa version du journal intime, en quelque sorte, et il était lui aussi malade. Une leucémie. Beaucoup plus grave qu'elle en somme. ❝ Je connais ce sentiment ... ❞ ❝ :(, j'ai l'impression que mes parents me regardent comme ... comme un petit oiseau tombé du nid dont ils doivent s'occuper en permanence ... ❞ ❝ C'est ce que tu es pour eux ... Enfin ils doivent se sentir responsable et ils ne veulent pas qu'il t'arrive quelque chose. Que tu tombes de nouveau malade. D'ailleurs, tu ne l'es pas ? ❞ ❝ C'est vrai, mais c'est pesant par moments ... Non, je ne suis pas malade. Bref, assez parlé de moi. Comment vas-tu ? Qu'a dit le médecin ?! ❞ Isobel aurait voulu qu'il réponde dans la seconde, espérant de tout son coeur qu'il lui apporte une bonne nouvelle. ❝ Je suis en rémission. ❞ Si Peter avait été en face d'elle, la jeune femme l'aurait pris dans ses bras. Elle en était sûre. ❝ QUOI ? JE SUIS TROP CONTENTE POUR TOI ! Mon Dieu, c'est génial ! ❞ ❝ Oui je suis content aussi ... Alors, comment va New York ces derniers temps ? ❞ Comme à son habitude, il préférait ne pas s'enthousiasmer quand il s'agissait de sa leucémie. Il avait vraisemblablement raison car, "tout peut arriver" comme il avait l'habitude de dire. Une vague de honte envahit Isobel. Lors de leur première conversation elle lui avait dit habiter en plein coeur de la grande pomme, au cas où Peter n'aurait pas été la personne qu'il prétendait être. Elle était toujours prudente, trop parfois. Maintenant, il était trop tard pour lui avouer la vérité. Elle n'était pas prête, du moins pour le moment. ❝ De la vue que j'en ai, New York reste fidèle à elle-même ! Haha ! Et Orange ? ❞ Ils vacillaient entre conversations sérieuses et ordinaires avec une aisance toute particulière, propre à eux. C'était principalement pour cela qu'elle aimait parler avec lui. Peter était aussi tout bonnement adorable ; il était à l'écoute et ne voyait que le meilleur chez les autres. Chez elle en tout cas. Isobel admirait sa force. Si elle avait eu une leucémie, elle aurait été en colère contre le monde entier. Mais pas lui. Il était incroyable. La jeune fille continuait de lui répondre, lui racontant tout et rien pendant des heures et des heures. C'était toujours ainsi. Ils se quittaient seulement quand ils étaient appelés ailleurs ou parce que l'un était trop fatigué pour continuer. Et pour rien au monde, Isobel aurait manqué un des "rendez-vous" qu'ils se fixaient. Sauf quand Dawson était impliqué.



SHE FINALLY FELT NORMAL - ❝ Tout m'a l'air normal, comme d'habitude. Rien d'alarmant Mlle Eaton. ❞ Isobel ne pouvait retenir plus longtemps son sourire qui grandissait de seconde en seconde. Elle devait avoir l'air bête, mais elle s'en fichait. ❝ D'accord ... et je voulais vous demander quelque chose d'assez important. ❞ Le médecin, un certain docteur Williams, qui la suivait depuis la découverte de son "problème" leva la tête et la fixa comme pour dire "allez-y, je suis tout ouïe." ❝ Je voulais savoir s'il était possible pour moi de ... travailler. C'est un stage dans une librairie et j'aimerais vraiment, vraiment le faire. Et je me suis dit que ... ❞ ❝ Que si je donnais mon accord, vos parents n'y verraient pas d'inconvénient ... ? ❞ ❝ Moins ❞ rectifia la jeune femme qui avait terminé le lycée, depuis chez elle certes, mais terminé quand même. Le médecin pouffa légèrement. ❝ Eh bien, je n'y vois aucun problème ... Vous voulez que je l'écrive, peut-être ? ❞ Izzy ne savait pas s'il était sarcastique -elle était trop excitée pour avoir prêté attention à son intonation-, mais elle hocha simplement la tête. ❝ Voilà ! ❞ Isobel le remercia chaleureusement et comme à son habitude, le docteur lui serra la main avec force. Mais pas trop. La jeune fille s'approcha alors de son frère presque en sautillant, une première. Surtout après un rendez-vous médical. ❝ Alors ? ❞ S'enquit Dawson, le regard inquiet. ❝ Je peux travailler ! ❞ lança l'adolescente, les yeux brillants. Elle se sentait enfin normale, comme tout le monde. Même si elle ne savait pas pourquoi cela était si important de se fondre dans la masse. Probablement parce que cette masse n'a pas un déficit immunitaire. D'un côté, elle était totalement consciente que sa "maladie" n'était pas si grave que cela, surtout comparé à ceux qui sont atteints de cancers, ... de leucémies comme son ami Peter. Son aîné, quant à lui, était loin d'arborer la même expression. ❝ QUOI ? ❞ Son si grand manque d'enthousiasme la prit quand même par surprise. ❝ Ne t'inquiète pas, Dawson. C'est juste un stage, rien de trop fatigant. La jeune femme lui lança un sourire qu'elle voulait réconfortant, avant de tendre son bras dans sa direction. Allez, viens. On y va. ❞ Il soupira légèrement, sans qu'elle ne sache pourquoi, avant de la gratifier d'un hochement de tête et d'un petit sourire beaucoup moins assuré qu'il l'avait probablement prévu. ❝T'as raison, on rentre❞ lança-t-il en passant ses bras autour de ses épaules avant lui déposer un baiser sur le front. Isobel se sentait redevenir enfant quand il faisait cela, comme un bond dans le temps, mais cela ne la dérangeait guère. C'était son frère. 



SORRY, CAN'T MAKE IT :( - ❝ Salut, Peter. Bon j'aurais préféré te le dire de vive voix plutôt que par message, mais je n'arrive pas à te joindre ... Ma mère ne veut pas que je sorte à cause du temps et je dois avouer qu'elle n'a pas tort, il commence à pleuvoir et je peux sortir par ce temps ... Toi non plus, d'ailleurs. Je suis désolée de devoir encore une fois annuler, je crois qu'on a pas de chance ... Et je suis désolée de ne pas pouvoir venir :( ... Tu n'imagines pas à quel point ! J'espère seulement que tu n'es pas en chemin ou que t'es pas déjà arrivé à la librairie ... Encore désolée, Isobel. ❞ Elle s'en voulait à un tel point que s'en était ridicule. Il s'agissait là de la quatrième fois qu'elle annulait et elle craignait que cela soit la fois de trop. Izzy n'avait pensé qu'à leur rencontre et seulement cela durant toute la semaine. Elle rêvassait même au travail et, ça, c'était inédit. Pourtant, au fond d'elle, elle était comme ... soulagée et détestait ressentir cela. C'était Peter. Celui à qui elle parlait depuis environ quatre ans. Celui à qui, il y a quelques mois de cela, elle avait enfin annoncé la vérité. Celui qui comprenait mieux que quiconque ce que cela fait d'avoir une maladie. Is soupira juste au moment où un coup de tonnerre résonna, elle avait bien fait de rester au chaud.


I GOTTA GO - Isobel était plongée dans son livre, un roman pour adolescents qui traînait sous le comptoir et qui avait l'air bien nunuche, mais qui avait le don de la distraire de ses moroses pensées. La librairie était bien plus remplie que d'ordinaire, la plupart des tables et fauteuils étaient occupés. Cela lui avait donné des sueurs froides, les bains de foule n'étant pas ce qu'elle préférait. De loin, même. Heureusement pour elle, peu de personnes venaient déjà régler leurs achats et elle se disait que peut-être, avec un peu de chance elle pourrait y échapper. ❝ Hum, excusez-moi ... ❞ Isobel leva son index, les yeux toujours rivés sur sa ligne, pour lui dire de patienter. Ce qu'il fit. La jeune femme porta enfin son attention sur son client qui était bizarrement jeune. Et n'était pas laid du tout, c'était même l'exact opposé. Belle le contempla pendant quelques secondes, mais lui regardait tout autour de lui à la recherche de quelqu'un. C'était évident. Les seuls "jeunes" qui venaient ici, c'était pour rejoindre la fille qu'ils convoitaient. Et vice-versa. Les employés n'étaient que des meubles pour eux. Un jour, un de ses anciens camarades était même passé devant elle, l'avait saluée et même regardée pendant quelques longues secondes, pourtant il ne l'avait pas reconnue. Elle était invisible pour les autres. C'était bien connu, ou tout du moins elle le savait parfaitement. Son portable vibra dans sa poche et Isobel n'hésita pas une seule seconde avant de le prendre. C'était un message de Dawson. " Tu as terminé depuis quinze minutes. Allez viens, je suis dehors. Je te ramène à la maison." Elle n'avait pas réalisé qu'il était aussi tard que cela, la jeune femme s'apprêtait à prendre ses affaires et partir quand le jeune homme décida de porter son attention sur elle à nouveau. ❝ Savez-vous où je pourrais trouver ... ❞ Is ne lui laissa pas même la chance de finir sa phrase. ❝ Désolée, j'dois y aller ! Carla, ce jeune homme à une question ❞ lança-t-elle bien fort à sa collègue avant de déguerpir pour rejoindre son frère adoré, sans un regard pour le brun. Sans savoir que la fille qu'il recherchait, c'était elle. Et que lui, était en réalité Peter.