mais toutes les semaines ça me va aussi. (mia+prim)

Mercredi. Même jour, même heure. Comme un rendez-vous secret. Un rendez-vous pas clairement formulé. Et pourtant, il espère voir sa chevelure châtain éclairer brièvement l'endroit. Presque nerveux, il tapote la table de ses doigts. Se plonge dans son livre. Relève ses yeux bleus pour balayer la salle. Rien n'a changé. Va-t-elle venir ? Ça fait plus d'un mois qu'il la voit ici, tous les mercredis. De loin, sans un mot, rien que quelques regards à la fois timides et malicieux. Il ne sait rien d'elle. Elle ne sait rien de lui. Et il a pourtant l'espoir de la voir aujourd'hui. C'est fou comme on peut s'accrocher à n'importe quoi quand on est désespéré. Faisant mine d'être plongé dans la contemplation d'un livre dont il n'a même pas pris la peine de lire le titre. Normalement, il adore lire ! Se plonger dans un monde totalement inconnu, tendant vers cette perfection rare, amenée par l'imagination. Mais il a l'impression d'être redevenu ce gosse qui peinait à se concentrer plus de cinq minutes. Il relève ses iris fréquemment. Mais elle n'est pas là. Il a soudain la peur tenace qu'elle ne viendra pas. Qu'est-ce que ça peut te faire, hein ? Rien. Enfin, ça ne devrait rien lui faire. Mais ça lui fait quelque chose. C'est son rendez-vous. Il a soudain l'impression que le monde entier lui a menti. Qu'elle n'est qu'une chimère, inventée par son cerveau qu'on aurait trafiqué. Une amie imaginaire. Il ferme les yeux et soupire, soudain las. Abattu. (...) La crissement de la chaise le fait sursauter si violemment qu'il se cogne le genou au dessous de la table. Il ne l'a pas entendue arriver. Il sait qu'elle n'est pas arrivée par devant, sinon il l'aurait vu. Mais il n'a pas pensé à vérifier derrière. Une erreur de débutant. Mais il restera toujours un débutant en matière de chasse puisqu'il tient le rôle de la proie. Constamment.

Mais pourtant elle est là. Devant lui. Pour la première fois, il note les quelques cristaux dorés qui peuplent son regard qu'il croyait entièrement chocolat. Il note un épi de sa franche qui part sur le côté, lui donnant un air horriblement attendrissant. Il note de multiples détails ainsi, dans sa mémoire, qu'il n'a jamais su saisir, de loin, dans l'express de leurs échanges muets. Que fait-elle là ? Il ne le sait pas et ne veut pas le savoir. Il se rend compte qu'il la dévisage depuis un peu trop longtemps et il baisse les yeux en se mettant à rougir un peu. J-Je... enfin, Bonjour. Je ne connais même pas votre nom. Sa voix est douce, calme, presque cristalline et il relève ses yeux brillants d'une malice innocente pour chercher le regard de l'inconnue qu'il revoit pourtant toutes les semaines.

Généralement d'ailleurs, plus on connait quelqu'un, moins on a envie de le connaître. "Connaître" une personne, c'est accentuer fermement une description sur tous ses défauts, remarquer ce qui vous dérange dans son comportement, quel est le petit tic qui vous agace. Être face à un(e) inconnu(e), c'est tout l'inverse. Voir ce tic familier comme s'il vous avait manqué, imaginer quel est le timbre de sa voix que vous n'avez jamais pu entendre s'échapper entre ses lèvres closes, vous demandez si elle s'appelle Marjolaine ou Wendy, si elle vient de loin ou d'ici. Et mille et unes questions comme celles-ci, qui relevaient d'un mystère capital et presque primordial. Un mystère envoûtant qui quelque part, ont donné pendant toutes ces semaines un point clé à leurs rendez-vous muets. Et la voilà là. Devant toi. Tu peines un peu à réaliser. Comme un rêve éveillé. Comme si ça n'était qu'une chimère, qu'un mauvais coup de ton imaginaire. Mais non. Son sourire, le pétillant de ses yeux, les plis de son front. Tu notes tout dans ta tête pour ne jamais oublier le moindre détail. Au cas-où. Nonchalant, tu observes les livres qu'elle étale devant elle. Il y a un peu de tout. Vous fonctionnez pareil. Au coup de coeur. À l'impro. Nul trucage. Tu souris en déchiffrant les titres à l'envers, les découvrant tout comme tu brûles de découvrir sa voix. Je suis Mia. Mia. Bien sûr. Ça lui va comme un gant. Mia. C'est beau, doux, léger, parfait. C'est son prénom. Alors forcément... Mia. Ton sourire s'étire de plus belle, et tes yeux bleutés cherchent les siens. Alors enchanté, Mia. Il fait une petite pause presque théâtrale. Piochant un livre parmi les siens, au hasard, il en ouvre une page de façon aléatoire. On dit que seul le temps peut arrêter le temps. Vaincre le mal par le mal, le temps par le temps. Si vous en manquez, volez-le, mais il ne vous appartiendra jamais, lis-tu avant de lever le nez vers elle. Tu clignes plusieurs fois des yeux. Nouveau sourire. Et moi c'est Primaël. Mais on m'appelle Prim. Prim. Ça fait limite féminin. Non, ça fait même personnage de roman. Ou de film fantastique. Enfin, un truc un peu louche quoi. Mais au fond... qui a dit que tu devais porter un prénom normal, hein ? Tu l'aimes bien, ton prénom. Au moins, t'as la chance de ne pas croiser huit mille personnes s'appelant Primaël quoi.

Également enchanté, Primaël, Prim. Ça sonne si bien entre ses lèvres. Comme si elles avaient été faites pour prononcer son prénom. Comme s'ils avaient été faits pour se rencontrer, fut-ce dans cette bibliothèque ou ailleurs. Tout de même, Prim y tient à cette bibliothèque. Il aime bien à cette rencontre particulière, entre rêve et réalité. C'est agréable de pouvoir désormais mettre ne serait-ce qu'un prénom sur votre visage. Il sourit plus grandement de nouveau, hochant la tête. Je suis bien d'accord avec vous, la liste des probabilités sur votre prénom commençait à devenir longue dans ma tête, fait-il, lui avouant donc clairement qu'il a cherché et cherché encore quel prénom pourrait lui correspondre. Mais il s'en fiche. C'est la vérité. Et Prim n'a jamais cherché à cacher la vérité. Que faites vous dans la vie ? À mon sens, votre travail a grandement un lien avec l'écriture. Du moins, il me semble. Il est tout à fait possible que je me trompe. Ma perspicacité à ses limites. Il sourit de nouveau, c'est plus fort que lui. Alors il n'est pas le seul à s'être cassé la tête à chercher mille et uns détails pour reconstituer sa vie comme un puzzle à mille pièces dont il n'en connaissait pas une seule. En effet. Je suis écrivain, mais ça ne me permet pas d'en vivre pleinement. Je suis fleuriste à côté... d'ailleurs, je ne vous ai jamais vu à la petite boutique que je tiens. L'écriture, les fleurs,... ça peut paraître un peu niais. Mais c'est lui, pourtant. Et il ne le cache pas non plus, ça. Il croise les bras sur la table et se penche finalement un peu en avant, cherchant le regard doux de la belle inconnue portant désormais un nom, pour s'y noyer. Je ne pourrais clairement dire dans quoi est-ce que je vous imagine alors.. pourriez-vous plutôt éclairer mon esprit avide de vous connaître ? Que faîtes vous dans la vie, vous ? demande-t-il alors d'un ton doux, un sourire léger aux lèvres.